La séparation des pouvoirs : un bouclier démocratique devenu écran de fumée politique (exemple Alexis Kohler à l’appui)

Autrefois pilier de la démocratie, la séparation des pouvoirs était censée empêcher les abus et garantir la transparence. Mais à force d’en abuser, ce principe fondateur s’est transformé en un paravent juridique, bien pratique pour échapper à toute reddition de comptes. Exemple éclairant : le refus d’Alexis Kohler, bras droit du président, de se présenter devant une commission d’enquête sénatoriale. Non pas par caprice, mais au nom de la sacro-sainte… séparation des pouvoirs. Et là, Montesquieu tousse dans sa tombe.

La séparation des pouvoirs, c’est quoi au juste ?

Théorisée par Montesquieu dans De l’esprit des lois, la séparation des pouvoirs repose sur un principe simple : pour éviter la tyrannie, il faut diviser le pouvoir. Trois grandes fonctions doivent être clairement distinctes :

  • Le pouvoir exécutif : applique les lois (Président, gouvernement).
  • Le pouvoir législatif : vote les lois (Assemblée nationale, Sénat).
  • Le pouvoir judiciaire : interprète et applique la loi en cas de litige (magistrats, juges).

En théorie, aucun des trois ne doit empiéter sur l’autre, pour éviter les abus, les pressions, les manipulations.

Mais en pratique, c’est devenu autre chose : un argument de défense très chic, surtout utilisé quand on n’a pas envie de répondre aux questions.

Exemple Kohler : quand l’exécutif se couvre avec du Montesquieu

En 2022, une commission d’enquête sénatoriale s’intéresse aux relations entre l’État et les cabinets de conseil. En ligne de mire : McKinsey. Et qui est au cœur des circuits de décision à l’Élysée depuis des années ? Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée, sorte de super chef de cabinet du président.

Logiquement convoqué pour répondre à quelques questions sur les appels d’offres, les arbitrages, les conseils privés, M. Kohler décline. Poliment. Fermement. « La séparation des pouvoirs m’interdit d’y répondre. »

Traduction : « Je fais partie de l’exécutif, donc les sénateurs (pouvoir législatif) ne peuvent pas me demander des comptes. » Pratique, non ?

Le hic, c’est que la commission n’est pas un tribunal, elle ne juge pas, elle enquête. Et dans une démocratie parlementaire, le Parlement a le pouvoir de contrôle. Mais apparemment, ce contrôle s’arrête à la porte de l’Élysée.

Une République sans contrôle est-elle encore une démocratie ?

L’affaire Kohler n’est pas isolée. Le même argument a été utilisé :

  • Dans l’affaire Benalla, pour éviter des auditions trop précises.
  • Lors de scandales sanitaires, où les ministres invoquent leur fonction pour éluder des questions.
  • Ou encore quand certains directeurs d’administration refusent de répondre à des commissions parlementaires.

À chaque fois, le même refrain : la séparation des pouvoirs, donc « circulez, y’a rien à voir ». Le problème, c’est qu’en se protégeant derrière ce principe, l’exécutif neutralise toute forme de contrôle démocratique, et renvoie le Parlement au rôle de spectateur.

Résultat ? Une démocratie déséquilibrée, où le pouvoir exécutif devient intouchable, sauf peut-être par un juge, et encore…

Une séparation à géométrie variable

Car soyons clairs : quand cela les arrange, les responsables politiques invoquent sans gêne l’interdépendance des pouvoirs. On voit régulièrement des membres du gouvernement critiquer des décisions judiciaires, commenter des lois en débat ou peser sur les médias publics. Mais quand il s’agit de répondre à une question précise : hop, rideau ! Séparation des pouvoirs. Inviolabilité. Silence radio.

Ce principe devient alors moins un garde-fou qu’un rideau de fumée, bien commode pour éviter de rendre des comptes. Une sorte de carte Joker dans un jeu institutionnel truqué.

En conclusion : Montesquieu, reviens, ils sont devenus fous

La séparation des pouvoirs n’est pas en cause. Ce qui pose problème, c’est son instrumentalisation. À force d’être brandie comme une barrière plutôt qu’un équilibre, elle finit par affaiblir la démocratie qu’elle était censée protéger.

Et pendant ce temps, les commissions parlementaires perdent leur autorité, le citoyen perd confiance, et les affaires publiques… restent floues.

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FAQ

La séparation des pouvoirs interdit-elle les auditions parlementaires ?

Non. Les auditions sont autorisées, sauf pour les fonctions strictement protégées (ex : Président). Mais souvent, les hauts responsables s’en servent comme excuse.

Le refus d’Alexis Kohler est-il légal ?

Juridiquement, oui. Politiquement, c’est plus discutable. Il n’était pas obligé de refuser, mais il a utilisé son droit à ne pas comparaître.

Cela remet-il en cause le rôle du Sénat ?

En partie. Si les commissions n’ont plus de moyens de pression, elles perdent en efficacité et en crédibilité. Cela affaiblit le contre-pouvoir législatif.

Sources :

  • Sénat, Commission d’enquête sur l’influence des cabinets de conseil – www.senat.fr
  • Macron et McKinsey : la justice enquête sur des liens anciens et secrets – Mediapart
  • Constitution française, articles 24 et 20
  • Le Monde, Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, refuse de se présenter devant la commission d’enquête sur le scandale des eaux

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