De la Révolution à la Répression silencieuse, petite histoire de l’Assemblée nationale française, cette chambre où l’on parle beaucoup… sauf quand on dérange.
Un peu d’histoire : quand la France inventait la parole collective (en théorie)
L’Assemblée nationale est née le 17 juin 1789, au moment où les députés du Tiers état décident de s’auto-proclamer représentants de la nation. Une prise de parole symbolique contre le pouvoir absolu, un acte fondateur : « la Nation reprend ses droits. »
Depuis, le décor a changé, les fauteuils se sont capitonnés, mais le principe reste : des élus débattent, votent les lois et contrôlent l’exécutif. En apparence, du moins.
Rôle officiel : une chambre haute en principes
Sur le papier, l’Assemblée nationale a trois missions :
- Faire la loi (en examinant, modifiant et votant les textes).
- Contrôler le gouvernement (via questions orales, commissions d’enquête, votes de défiance).
- Représenter les citoyens (577 députés pour 67 millions de Français, on fait comme on peut).
Et surtout, elle est censée être le cœur battant de la démocratie, là où toutes les sensibilités s’expriment. Un lieu de confrontation d’idées, de pluralisme et d’intelligence collective.
Mais ça, c’était avant.
Le rôle officieux : valider, obéir, sanctionner
Dans la pratique, depuis l’instauration de la Cinquième République en 1958, l’Assemblée est devenue le marchepied de l’exécutif. Le président décide, le gouvernement applique, et l’Assemblée… approuve.
Le 49.3, les procédures accélérées, les votes bloqués, les micros coupés : autant de techniques pour faire passer une loi sans perdre de temps avec les députés trop bavards.
Et quand certains refusent de jouer le jeu – suivez mon regard vers LFI – on ne les écoute pas. On les exclut, on leur supprime la parole, ou mieux encore, on les accuse de troubler l’ordre public. La démocratie, oui, mais pas trop forte, merci.
Scandales, polémiques et petits arrangements entre élus
L’Assemblée nationale, c’est aussi une série de scandales à faire rougir une telenovela :
- Cahuzac : député et ministre, mentant les yeux dans les yeux sur son compte en Suisse.
- Les emplois fictifs : du FN au Modem, plusieurs groupes politiques ont été épinglés pour avoir payé des assistants parlementaires… qui n’étaient pas vraiment parlementaires.
- L’affaire Benalla (2018) : une commission d’enquête sabordée en direct par la majorité LREM pour éviter d’embarrasser l’Élysée.
- Les députés absents ou votant pour leurs collègues (le fameux « vote à la place de Jean-Kevin », mais chut).
- La gestion du pass sanitaire : une Assemblée muette ou complice pendant les périodes de restrictions de liberté, transformée en chambre d’enregistrement.
- La répression des oppositions : exclusions, retraits de parole, minutes de silence refusées selon les affinités géopolitiques… la neutralité parlementaire a parfois des trous de mémoire.
Et dernièrement, l’affaire des collaborateurs LFI visés par une plainte de Yaël Braun-Pivet : un nouvel exemple d’une institution qui gère le dissensus politique à coups de dépôt de plainte.
Une présidence de plus en plus verticale
Le ou la présidente de l’Assemblée nationale (actuellement Yaël Braun-Pivet) a un pouvoir immense :
- diriger les débats,
- décider qui parle,
- autoriser ou refuser les motions,
- jouer le métronome politique du gouvernement en place.
Quand cette fonction devient partisane, l’équilibre démocratique vacille.
Et aujourd’hui, soyons honnêtes : l’Assemblée nationale ressemble de plus en plus à un open-space où seuls les chefs peuvent parler, et où les autres doivent lever la main… pour se faire engueuler.
Et les citoyens dans tout ça ?
Ils regardent, parfois. Ils votent, souvent sans y croire. Ils manifestent, mais l’Assemblée leur répond par l’absurde : une minute de silence pour le roi Charles III, mais pas pour les manifestants éborgnés. Un débat pour interdire les trottinettes, mais aucun sur les violences policières.
L’Assemblée nationale, censée être leur voix, devient un décor vide où se joue une pièce écrite ailleurs.
Et ailleurs ? Comparaison internationale : des parlements qui parlent ou qui se taisent
L’Assemblée nationale française aime se voir comme l’une des grandes chambres démocratiques du monde. Mais qu’en est-il vraiment si on regarde par-dessus les frontières ?
🇬🇧 Royaume-Uni : le Parlement qui ose humilier ses Premiers ministres
À Londres, la Chambre des communes n’hésite pas à renverser ses chefs de gouvernement. Theresa May, Boris Johnson, Liz Truss : tous ont été éjectés sans passer par la case élection générale. Les débats y sont vifs, théâtraux et sans muselière. Oui, parfois ça crie, mais le contrôle de l’exécutif fonctionne.
🇩🇪 Allemagne : le Bundestag et le compromis
Le Bundestag est souvent cité en exemple pour sa culture du compromis multipartite. Aucun chèque en blanc à l’exécutif : même le chancelier doit négocier, expliquer et parfois avaler des couleuvres. Le débat est moins spectaculaire, mais il est réel.
🇺🇸 États-Unis : un Congrès qui peut paralyser un président
Au pays du bicamérisme solide, le Congrès (Chambre des représentants + Sénat) peut bloquer totalement un président, même s’il s’appelle Trump. Le « shut down » est presque devenu un sport national. Les contre-pouvoirs sont pris au sérieux.
🇮🇹 Italie : instabilité mais pluralisme
L’Italie, championne du changement de gouvernement, possède un Parlement ultra-diversifié, où aucune majorité ne tient bien longtemps. Résultat : le pouvoir exécutif est fragile, mais le débat politique reste permanent.
🇷🇺 Russie : la Douma ou l’Assemblée Potemkine
À l’opposé, la Douma russe est une chambre d’enregistrement pure et simple. Les lois du Kremlin y passent comme des lettres à la poste. Les rares députés d’opposition finissent en exil… ou en prison.
🇭🇺 Hongrie : quand le Parlement devient un décor
Sous Viktor Orbán, le Parlement hongrois existe toujours… sur le papier. En réalité, le Fidesz contrôle tout, l’opposition est marginalisée et la séparation des pouvoirs a été remisée au musée des illusions démocratiques.
Conclusion comparative : la France, entre deux mondes
Si l’on place la France sur cette échelle internationale, notre Assemblée nationale n’est plus vraiment un modèle :
- Plus démocratique qu’en Russie ou Hongrie (encore heureux).
- Moins vivante que le Royaume-Uni, l’Allemagne ou même l’Italie.
Elle est devenue une démocratie d’apparat : libre dans le principe, encadrée dans la pratique.
Et plus le pouvoir présidentiel s’est renforcé (Macron n’a rien inventé, mais il a perfectionné), plus l’Assemblée a perdu sa voix.
Conclusion : Parlement ou paravent ?
L’Assemblée nationale fut un espoir, une conquête, une institution puissante. Elle est devenue, au fil des réformes, un organe technique au service d’un pouvoir centralisé, où le débat est mis sous cloche et l’opposition, sous surveillance.
Mais elle continue à exister, à siéger, à parler… même si ce qui est dit n’a souvent plus d’impact.
Et pendant ce temps, les Français regardent ailleurs, ou baissent la voix. Parce qu’ici, parler trop fort à l’Assemblée, ça finit parfois en plainte, en exclusion, ou en micros coupés.
Sources :
- Site officiel de l’Assemblée nationale : www.assemblee-nationale.fr
- Ouvrages : « La Cinquième République pour les nuls« , « Le Parlement en miettes«