Yaël Braun-Pivet : itinéraire d’une macroniste disciplinée, de la défense des détenus à la défense de l’ordre établi

De l’avocate bénévole à la gardienne sourcilleuse de l’hémicycle, portrait d’une femme politique passée du progressisme de façade à la verticalité assumée.

Née à Nancy le 7 décembre 1970, Yaël Braun-Pivet aurait pu incarner un autre récit que celui d’une République qui se verrouille à mesure qu’elle se vide. Issue d’une famille juive laïque, petite-fille d’un rescapé de la Shoah, elle a été nourrie dès l’enfance à l’idéal républicain. Et c’est sans surprise qu’elle choisit le droit comme voie d’élévation, enchaînant avec brio un DEA à Paris X-Nanterre, le concours du barreau, et une spécialisation en droit pénal.

À l’époque, elle défend les plus démunis, s’engage dans l’humanitaire, bénévole dans une association d’aide aux détenus. Elle porte une parole progressiste, égalitaire, portée par un souci de justice sociale. Ce qu’on appelle, dans le jargon politique, la gauche morale.

Mais entre ces années-là et 2025, quelque chose a basculé.

Renaissance (ou réinitialisation) : la politique selon Macron

En 2016, comme beaucoup de « nouveaux visages », elle est séduite par la promesse d’Emmanuel Macron : le dépassement des clivages, le renouvellement, le pragmatisme… ou la suppression méthodique de tout contre-pouvoir gênant. Yaël Braun-Pivet rejoint La République en Marche, devient députée des Yvelines en 2017, puis présidente de la Commission des Lois. Elle y découvre le pouvoir, le vrai. Celui qui ne débat pas mais qui valide. Celui qui ne cherche pas le consensus mais l’efficacité.

L’ordre en marche

En tant que présidente de la Commission des Lois, elle sera la cheville ouvrière de toutes les grandes dérives du quinquennat Macron :

  • lois sécurité globale,
  • extension du recours au 49.3,
  • restriction des libertés en période de pandémie, ( petit retour en arrière : pendant la pandémie de Covid-19, elle est présidente de la Commission des Lois de 2017 à 2022. Et c’est bien à ce poste-là qu’elle a joué un rôle clé dans la validation des mesures d’exception sanitaires :
    • prolongation de l’état d’urgence,
    • passes sanitaires et vaccinal,
    • restrictions de déplacement,
    • surveillance numérique « pour des raisons de santé publique » (QR codes, etc.).
  • appui à la réforme des retraites contre l’avis de l’opinion publique.

Elle ne se contente pas d’accompagner ces textes : elle les défend bec et ongles, avec un calme glacial, une rhétorique sans faille, et une capacité redoutable à botter en touche face aux critiques.

Quand on l’accuse d’alignement systématique avec l’exécutif, elle sourit et répond : « Je suis une femme de terrain. » Traduction : le terrain, c’est l’appareil d’État.

En haut du perchoir : présidente, mais pas arbitre

En juin 2022, elle est élue première femme présidente de l’Assemblée nationale. Une avancée symbolique ? Oui. Mais le symbole se fissure dès les premières sessions houleuses.

Sous son mandat, l’hémicycle devient un théâtre de tensions larvées. Les micros sont coupés, les députés LFI sont sanctionnés à tour de bras, les temps de parole sont rabotés. Loin de pacifier les débats, Yaël Braun-Pivet impose le silence. Mais un silence bien orienté : toujours contre les mêmes. Un hémicycle « à géométrie variable », où les outrances de l’opposition sont punies, et les provocations du gouvernement, ignorées.

Scandales à répétition, mémoire sélective

Car Yaël Braun-Pivet, c’est aussi une gestion politique du scandale à deux vitesses. Et la liste commence à être longue :

  • Octobre 2023 : elle est critiquée pour avoir refusé une minute de silence pour les enfants palestiniens morts à Gaza, tout en organisant dans la foulée une commémoration officielle pour les victimes israéliennes. Le deux poids deux mesures s’affiche en direct à l’Assemblée. Indignation, tribunes, silence radio de la présidente.
  • Novembre 2023 : elle prend la parole pour défendre la présence de Gérald Darmanin au gouvernement, malgré les accusations de violences sexuelles et la gestion policière violente des manifestations. Pour elle, le rôle d’un président de l’Assemblée n’est pas de commenter la composition gouvernementale, mais elle le fait quand même.
  • Mars 2024 : lors du passage controversé d’un texte sur l’immigration, elle est accusée de favoriser les temps de parole des députés RN au détriment de la gauche. Certains y voient une stratégie bien rodée pour faire passer les idées du gouvernement avec l’aide de l’extrême droite, sous couvert de « respect des procédures ».
  • Avril 2024 : elle refuse la tenue d’un débat d’urgence demandé par plus de 200 députés sur les violences policières à Sainte-Soline, au motif que « la question n’est pas prioritaire ». L’image d’un perchoir hors-sol s’enracine.
  • Décembre 2024 : elle est pointée du doigt pour avoir fait rétrograder sans justification plusieurs collaborateurs parlementaires jugés « trop politisés » (traduction : trop à gauche). Les syndicats dénoncent une chasse aux sorcières douce, menée sous couvert de neutralité.

L’art de se dire « au-dessus des partis », tout en verrouillant la maison

En façade, Yaël Braun-Pivet se veut républicaine jusqu’au bout des ongles. Mais son républicanisme ressemble de plus en plus à une lecture administrative de la démocratie : polie, rigide, et parfaitement insensible aux mouvements de fond.

Elle incarne l’autorité au féminin, ce qui n’est pas un défaut en soi — sauf quand cette autorité devient une machine à neutraliser les voix discordantes.

Une biographie en forme de paradoxe

Comment passer de l’avocate militante qui défend les exclus à la présidente d’un hémicycle qui exclut ? Comment incarner à la fois la République en marche et l’arrêt brutal de tout débat contradictoire ? Comment se dire « féministe » tout en validant une politique qui réprime, sanctionne, et invisibilise ?

Yaël Braun-Pivet est l’incarnation parfaite du macronisme de phase 2 : celui qui ne cherche plus à séduire, mais à tenir bon. Quitte à plomber l’idée même de Parlement vivant.

Sources :

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