Alors que l’Assemblée nationale a voté fin mai 2025 un amendement en commission visant à supprimer les Zones à Faibles Émissions (ZFE), un chiffre a immédiatement embrasé les débats : 9,4 milliards d’euros. Ce montant — presque le prix d’un peu de souveraineté atmosphérique — représenterait le coût potentiel d’un abandon des engagements climatiques français. Pourtant, la directive européenne 2008/50/CE n’impose pas directement les ZFE. Alors d’où vient ce chiffre ? Et surtout : la France est-elle réellement condamnable pour avoir voulu respirer à sa manière ? Politicothon vous explique ce qui relève du droit, de la politique… et de l’art bien hexagonal de créer du flou à forte valeur budgétaire.
📌 Important : la suppression des ZFE n’est pas encore en vigueur
Le 28 mai 2025, la commission spéciale de l’Assemblée nationale a voté un amendement abrogeant l’obligation pour les agglomérations de plus de 150 000 habitants de mettre en place des ZFE, comme le prévoit aujourd’hui la loi Climat & Résilience.
Mais cette décision n’a pas encore été votée en séance plénière, ni confirmée par le Sénat. Elle reste soumise au processus législatif complet :
- Examen et vote à l’Assemblée
- Passage au Sénat
- Éventuelle saisine du Conseil constitutionnel (notamment pour risque de “cavalier législatif”)
- Promulgation par le gouvernement
👉 À ce jour, la loi de 2021 rendant les ZFE obligatoires est toujours en vigueur.
La suppression n’est pas encore entrée en vigueur, mais elle a déjà provoqué un courant d’air froid à Bruxelles et quelques sueurs tièdes à Bercy.
Une directive européenne exige des résultats, pas des outils spécifiques
C’est un point essentiel : la directive européenne 2008/50/CE sur la qualité de l’air n’impose pas la création de ZFE. Ce que le texte impose, ce sont des objectifs de résultats : ramener les niveaux de dioxyde d’azote (NO₂), de particules fines PM10 et PM2.5 sous des seuils stricts (par exemple, 40 µg/m³ pour le NO₂) dans les meilleurs délais.
Chaque État membre reste libre des moyens employés, à condition que ceux-ci soient :
- efficaces,
- rapides,
- et documentés.
En somme, les ZFE ne sont qu’un outil parmi d’autres. Mais en France, elles ont été choisies comme instrument principal pour lutter contre la pollution liée au trafic routier, ce qui n’est pas sans conséquence politique ni juridique.
La France déjà condamnée, et surveillée
La France n’est pas vierge en matière de pollution de l’air. En 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné l’État pour dépassement chronique des seuils de NO₂. En 2021 et 2022, le Conseil d’État a infligé à la France des astreintes de 10 millions d’euros par semestre, pour manquement à ses obligations. Bilan : 40 millions d’euros payés entre 2021 et 2023.
En avril 2025, grâce à la mise en place progressive des ZFE dans une quarantaine d’agglomérations, le Conseil d’État a suspendu les astreintes, soulignant les progrès enregistrés à Paris, Lyon, Marseille ou Strasbourg.
Mais attention : dans sa décision du 25 avril 2025, le juge administratif rappelle que ces améliorations dépendent directement du maintien des dispositifs existants, dont les ZFE. Une suppression brutale remettrait donc en cause ces avancées, et pourrait réactiver les sanctions.
Le chiffre de 9,4 milliards : une note du Trésor, pas une rumeur
Il ne s’agit ni d’un fantasme Twitter, ni d’un coup de com’ écolo-panique. Ce montant — déjà redouté par les services du Trésor plus que par les automobilistes eux-mêmes — est issu d’une note interne du ministère des Finances. Une suppression précipitée des ZFE mettrait directement en péril les 9,4 milliards d’euros que la France attend encore du plan de relance européen. Et comme souvent avec l’UE : pas de ZFE, pas de chèque.
Ce montant a été révélé par Le Parisien le 29 mai 2025, citant une note interne de la Direction du Trésor. Il ne s’agit ni d’un fantasme, ni d’un coup de com’ alarmiste, mais bien d’un calcul budgétaire anticipant les pertes que subirait l’État français si les ZFE étaient supprimées sans alternative.
Voici ce que recouvrent les 9,4 milliards :
- 3,3 milliards d’euros de subventions européennes attendues en 2025
- 6,1 milliards d’euros prévues en 2026, dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR), cofinancé par l’Union européenne.
Ces versements sont conditionnés à la réalisation d’engagements climatiques, dont l’instauration des ZFE fait partie. Si ces engagements ne sont pas tenus, Bruxelles peut suspendre les fonds, voire en exiger le remboursement partiel.
Un risque juridique sur plusieurs fronts
Le Conseil constitutionnel et le « cavalier législatif »
L’abrogation des ZFE votée à l’Assemblée a été introduite dans le projet de loi sur la simplification de la vie économique. Cette insertion pourrait être considérée comme un « cavalier législatif », c’est-à-dire un amendement sans lien avec l’objet principal du texte. Le Conseil constitutionnel pourrait donc censurer cette disposition pour vice de procédure.
Le Conseil d’État, en veille active
Même si l’amendement passait le filtre constitutionnel, le Conseil d’État, garant du respect du droit européen en France, pourrait être saisi à nouveau. Et ses précédentes décisions sont claires : toute régression en matière de lutte contre la pollution pourra entraîner le retour des astreintes, voire une saisine directe de la Cour de Justice de l’UE.
Peut-on contester les ZFE sans être hors-la-loi européenne ?
Oui. La France peut modifier son dispositif, voire le remplacer, à condition de garantir l’efficacité équivalente des nouvelles mesures. Des pistes existent : amélioration des transports en commun, aides ciblées, plans de mobilité partagée. Mais supprimer sans compenser, c’est s’exposer à :
- des astreintes nationales (Conseil d’État),
- des sanctions européennes (CJUE),
- et des pertes nettes de financement à hauteur de 9,4 milliards d’euros.
Analyse Politicothon : entre idéologie et arithmétique budgétaire
L’amendement de suppression des ZFE cristallise à merveille cette gymnastique législative typiquement française : céder à la pression populaire en commission, tout en espérant que le Conseil constitutionnel ou Bruxelles viendra remettre les pendules à l’heure. Il illustre aussi la difficulté de concilier discours sur la transition écologique avec réalité budgétaire et électorale.
Ironie discrète mais révélatrice : il est aujourd’hui plus coûteux pour l’État de renoncer à contraindre qu’à subventionner. Autrement dit, mieux vaut punir que laisser respirer, du moins si l’on veut rester dans les clous européens.
FAQ
Les ZFE sont-elles obligatoires selon Bruxelles ?
Non. Ce sont les objectifs de qualité de l’air qui le sont. Les ZFE sont un moyen choisi par la France.
Peut-on être condamné pour les supprimer ?
Pas directement. Mais si la suppression entraîne une hausse de pollution, la France retombe sous le coup des condamnations précédentes.
Le chiffre de 9,4 milliards est-il réel ?
Oui. Il provient d’une note du Trésor et correspond aux versements européens liés au plan de relance, conditionnés à la mise en œuvre des ZFE.