Le 12 juin 2025, la haute assemblée a rejeté la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, surnommée “taxe Zucman”. Un impôt qui ne concernerait que 0,01 % des contribuables – soit environ 4 000 personnes –, mais qui aurait pu rapporter jusqu’à 20 milliards d’euros par an. Une paille, donc. Sauf pour le Sénat, qui a préféré protéger les équilibres économiques… et quelques équilibristes fiscaux.
Une proposition minimaliste… qui déclenche un tsunami parlementaire
Adopté à l’Assemblée nationale le 20 février 2025, le texte porté par les écologistes visait un objectif simple : que les ultra-riches, ceux dont le patrimoine dépasse les 100 millions d’euros, ne puissent plus échapper complètement à l’impôt en optimisant leur fiscalité via holdings, sociétés écrans ou revenus non distribués.
Inspiré des travaux de Gabriel Zucman, professeur d’économie à Berkeley, l’impôt plancher de 2 % s’appuyait sur un principe devenu radicalement subversif : la justice fiscale.
Mais au Sénat, la proposition a suscité une levée de boucliers. La droite sénatoriale, majoritaire, a dénoncé une « mesure populiste », jugée inconstitutionnelle, inefficace, voire dangereuse pour… les start-up.
4 000 ultra-riches, 20 milliards, 0 vote à droite
En théorie, la taxe Zucman aurait rapporté 20 milliards d’euros. En pratique ? Rien. Car 188 sénateurs ont voté contre. 129 l’ont soutenue, tous à gauche. Parmi les arguments avancés :
- “Mesure confiscatoire” : selon le rapporteur Emmanuel Capus, la taxe violerait le principe constitutionnel de non-confiscation, déjà invoqué contre l’ISF en 2012.
- “Menace sur l’emploi” : l’imposition de patrimoines professionnels forcerait les détenteurs à vendre des parts d’entreprises “stratégiques”. L’État deviendrait alors, à son insu, actionnaire de licornes. Ironie du sort : la nationalisation revient au galop.
- “Risque d’exil fiscal” : malgré les études montrant que ce risque est faible, le spectre du départ de 10 milliardaires continue de hanter les bancs du Sénat.
Bref, protéger la fortune de 0,01 % de la population semble être devenu un enjeu plus important que de financer l’hôpital, l’école ou la transition écologique.
Pendant ce temps, dans la vraie vie…
Le débat a été nourri. Passionné. Parfois ubuesque. La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a reconnu que certains contribuables très fortunés avaient des revenus fiscaux de référence leur permettant… d’être éligibles au RSA ou au logement social. Mais elle préfère “travailler sur les outils” plutôt que “taxer les actifs stratégiques”. En somme : le problème est identifié, la solution attendra.
Et pourtant, les chiffres sont éloquents :
- En 2017, les 500 plus grandes fortunes détenaient 570 milliards d’euros.
- En 2024, elles en possèdent 1 228 milliards.
- Soit plus du double, pendant que la dette publique s’envole à 3 300 milliards.
Une croissance à deux vitesses : celle des milliardaires et celle du déficit.
« Égalité » : concept en voie d’obsolescence
La sénatrice écologiste Ghislaine Senée l’a résumé d’un trait : « La France est un paradis fiscal pour ultra-riches ». Yannick Jadot a enfoncé le clou en interpellant : « Sommes-nous devenus une ploutocratie ? »
Mais face à ces envolées, la majorité sénatoriale oppose la froideur du chiffre, du droit… et de la stratégie politique. Et tant pis si l’opinion publique soutient majoritairement une contribution accrue des plus riches – ce n’est pas l’opinion qui vote au Palais du Luxembourg.
Le Sénat préfère évoquer les dangers d’un mauvais signal aux investisseurs. On ne sait jamais : si Bernard Arnault devait renoncer à son yacht de 138 mètres, ce serait un drame national.
Une fracture politique révélée au grand jour
Ce vote a mis à nu une ligne de fracture nette :
- À gauche, on parle de justice, de cohésion sociale, de République égalitaire.
- À droite, on répond compétitivité, risque d’exil et respect des textes.
Entre les deux, un abîme : celui qui sépare les citoyens qui paient l’impôt à la source… et ceux qui l’évitent à la racine.
❓ FAQ Politicothon
La taxe Zucman est-elle anticonstitutionnelle ?
Selon le Conseil constitutionnel, un taux de 2 % sans plafonnement pourrait être jugé confiscatoire. Un taux de 0,5 % passerait, mais rapporterait… bien moins.
Les milliardaires fuiraient-ils vraiment la France ?
Rien ne permet de l’affirmer. Et dans les faits, beaucoup restent – surtout s’ils bénéficient de niches fiscales bien calibrées.
Pourquoi le Sénat rejette-t-il cette taxe malgré le vote favorable de l’Assemblée ?
Parce que la majorité sénatoriale est à droite, que la technocratie est frileuse, et que le mythe de la croissance par ruissellement reste tenace.