L’Union européenne s’apprête à franchir un cap historique. Ursula von der Leyen propose un plan colossal de 800 milliards d’euros pour renforcer la défense européenne sous le nom évocateur de « Rearm Europe ». Ce projet arrive alors que les États-Unis réduisent leur engagement militaire en Europe, et que la Russie reste perçue comme une menace grandissante.
Mais derrière cette décision, un enjeu de taille : cet investissement est-il une stratégie nécessaire pour assurer l’autonomie militaire du Vieux Continent ou un gouffre financier qui mettra en péril les finances publiques des États membres ?
Pourquoi un tel plan maintenant ?
Ce plan n’arrive pas par hasard. Plusieurs éléments expliquent cette montée en puissance militaire soudaine de l’UE.
- L’incertitude américaine
Les États-Unis, jusqu’ici garants de la sécurité européenne, commencent à regarder ailleurs. L’aide militaire à l’Ukraine vient d’être suspendue, et le retour de Donald Trump inquiète Bruxelles. Trump a clairement dit qu’il réduit l’engagement américain dans l’OTAN, voire exiger que l’Europe prenne en charge sa propre défense. - Une menace russe persistante
Depuis 2022, la guerre en Ukraine a réveillé l’Europe. L’idée d’un conflit élargi n’est plus une fiction, et les pays de l’Est, notamment la Pologne et les États baltes, exigent une réponse forte. Moscou montre des signes d’une capacité militaire toujours intacte, et l’idée que l’Europe pourrait être la prochaine cible commence à circuler. - Un désinvestissement chronique dans la défense
L’Europe, bercée par des décennies de paix relative, a largement négligé ses armées. La plupart des États membres peinent même à atteindre les 2% du PIB en dépenses militaires, un seuil pourtant fixé par l’OTAN. À titre de comparaison, les États-Unis dépensent près de 900 milliards de dollars par an dans leur armée, soit presque quatre fois plus que l’ensemble des pays européens réunis.
En clair, l’UE a dormi sur ses lauriers et doit aujourd’hui combler des décennies de retard en un temps record.
Un réveil nécessaire… mais à quel prix ?
Si la nécessité d’un réarmement européen semble difficilement contestable, la manière dont ce plan est financé pose question.
- 800 milliards d’euros, mais financés comment ?
Pour éviter une explosion des déficits, Bruxelles propose d’assouplir temporairement les règles budgétaires. Concrètement, les États membres pourront dépenser en défense sans risquer de sanctions pour dépassement de déficit. Cela signifie que des pays déjà endettés comme la France, l’Italie ou la Belgique devront encore creuser leurs finances. - Un jackpot pour l’industrie de l’armement
Derrière cette décision, un grand gagnant émerge : les industriels de la défense. Airbus, Thales, Rheinmetall et d’autres vont voir des milliards pleuvoir sur leurs comptes. Si cet argent sert à moderniser l’armée européenne, très bien. Mais le risque est aussi un dérapage budgétaire massif, où les coûts explosent sans contrôle. - Les sacrifices budgétaires à prévoir
En permettant une telle hausse des dépenses militaires, les budgets nationaux vont devoir s’adapter. Et ce ne sera pas sans conséquences. Qui dit plus d’armes, dit moins d’argent pour la santé, l’éducation ou les infrastructures qui sont déjà mis à mal depuis en France. Ce débat risque de diviser profondément l’UE, car certains pays – notamment ceux du Sud – préféreraient voir ces fonds injectés ailleurs. La France a clairement validé cette initiative de plus de défense militaire en invoquant elle-même le partage de la dissuasion nucléaire.
Un affrontement politique en vue
Loin de faire consensus, ce plan risque de créer des tensions au sein de l’UE.
- Les pays du Sud (Italie, Espagne, Grèce), déjà plombés par des dettes colossales, pourraient refuser d’investir massivement dans la défense au détriment de leur économie. Ceux qui n’est pas le cas en France.
- L’Allemagne et les Pays-Bas, historiquement plus rigoureux sur le respect des règles budgétaires, risquent de bloquer tout projet qui ressemblerait de trop près à un chèque en blanc pour la défense.
- Les pays de l’Est (Pologne, pays baltes), eux, pousseront pour une militarisation rapide et massive, voyant la Russie comme une menace directe.
Résultat : un affrontement majeur à prévoir au sein du Conseil européen. Certains États voudraient que l’UE finance des subventions plutôt que des prêts. Mais l’Allemagne et les Pays-Bas s’y opposent catégoriquement. Autant dire que le sommet de jeudi risque d’être explosif.
L’UE vers une nouvelle doctrine militaire ?
Si ce plan est adopté, l’Union européenne entrera dans une nouvelle ère. Jusqu’à présent, Bruxelles se limitait à des coopérations militaires symboliques. Avec « Rearm Europe », elle devient un acteur militaire autonome.
Si l’Europe parvient à bâtir une défense crédible, ce projet pourrait marquer la fin de la dépendance militaire envers Washington. Mais si les coûts s’envolent et que la gouvernance est mal assurée, alors cet ambitieux projet risque de devenir un désastre financier.
Armer l’Europe, oui. Mais à quel prix ?