Le Sénat vient d’adopter une proposition de loi réintroduisant, à titre dérogatoire, un néonicotinoïde pour certaines cultures. Un choix assumé pour l’agriculture intensive, dont les abeilles n’étaient sans doute pas invitées à la table des négociations. Une décision qui relance le débat sur la protection de l’environnement face aux impératifs économiques de l’agriculture. Entre dérogations ciblées et assouplissements réglementaires, la majorité sénatoriale revendique son pragmatisme, qui, pour l’opposition, ressemble surtout à une redéfinition opportuniste des priorités, où l’urgence économique permet de faire fi des précautions d’hier.
Néonicotinoïdes et pression économique : une réautorisation controversée
Malgré l’interdiction des néonicotinoïdes en 2018, la France s’apprête à accorder une dérogation pour l’utilisation de l’acétamipride. Ce pesticide, encore autorisé au niveau européen jusqu’en 2033 (source : Europa), avait déjà bénéficié d’exemptions pour la culture de la betterave sucrière. Mais visiblement, une dérogation en appelant une autre, le Sénat juge désormais que d’autres filières agricoles, comme celle de la cerise et de la pomme, doivent aussi avoir droit à leur petit passe-droit chimique.
Les partisans du texte mettent en avant un besoin urgent pour les agriculteurs face à la compétition internationale et aux baisses de rendement causées par les interdictions, comme si préserver un écosystème déjà fragilisé était un luxe que seuls les pays sans exportations agricoles pouvaient se permettre. « Regardez les hectares de cerisiers que nous avons perdus ! » a plaidé le sénateur LR Laurent Duplomb, dénonçant une concurrence déloyale avec les importations turques, prouvant une fois de plus que dans la guerre des pesticides, les frontières comptent plus que la biodiversité.
Mais pour la gauche et les écologistes, cette décision revient à ouvrir grand les portes aux lobbies agricoles, tout en feignant d’ignorer les conséquences environnementales. Autrement dit, un produit dont on vantera les vertus aujourd’hui, avant de feindre la surprise demain en découvrant ses ravages. Les néonicotinoïdes sont en effet accusés de nuire aux pollinisateurs et de s’accumuler insidieusement dans l’environnement (source : INRAE, 2023), un détail qui, semble-t-il, ne pèse pas lourd face aux impératifs de rendement.
Pesticides et lobbying agricole : un compromis fragile
Face à ces critiques, le gouvernement a tenté de calmer le jeu en enrobant la mesure de restrictions rassurantes. L’usage de l’acétamipride ne sera possible qu’à travers des dérogations accordées « dans un cadre européen strict, pour des cultures sans alternatives viables et avec un plan de recherche d’alternatives », a précisé la ministre de l’Agriculture (source : Ministère de l’Agriculture, 2025). Autrement dit, une porte entrouverte avec la promesse que personne ne poussera dessus trop fort.
Ce compromis n’a pas convaincu tout le monde. Après tout, les compromis sur les pesticides ressemblent souvent à ces portes entrouvertes que l’on finit par laisser grandes ouvertes. Pour les sénateurs de gauche, il ne s’agit que d’une « brèche » qui risque d’ouvrir la voie à d’autres dérogations dans les années à venir. « On nous dit que c’est temporaire, mais l’histoire nous a appris que, dans le monde des pesticides, « temporaire » signifie souvent « jusqu’à ce que plus personne ne pose de questions ». », a alerté le sénateur écologiste Guillaume Gontard.
Réforme agricole et pesticides : vers une dérégulation progressive ?
La réautorisation des néonicotinoïdes n’est qu’un volet d’une proposition de loi plus vaste visant à « lever les contraintes » qui pèsent sur l’agriculture française. Comprendre : faire sauter quelques garde-fous jugés trop encombrants. Parmi les autres mesures adoptées :
- La réduction des obligations en matière de réunions publiques pour les projets d’élevage, histoire d’éviter de rendre public les questions qui fachent.
- La simplification des procédures pour la construction de mégabassines, rebaptisées « infrastructures d’intérêt général majeur » pour mieux faire passer la pilule.
- Un allègement des restrictions liées à la vente et au conseil en pesticides, car pourquoi s’embêter avec trop de régulations quand on peut faire simple ?
Autant de dispositions qui devraient alimenter les discussions autour du projet de loi d’orientation agricole, prévu pour début février au Sénat (source : Sénat) . Des discussions qui, sans surprise, risquent d’illustrer une fois de plus ce pragmatisme à géométrie variable où l’intérêt général s’ajuste commodément aux impératifs du moment, selon un savant dosage de lobbying et de réalisme politique.
Néonicotinoïdes et fracture politique : entre pragmatisme et recul écologique
Au-delà des enjeux environnementaux et agricoles, ce vote révèle une fracture politique profonde entre une droite défendant un « pragmatisme agricole » et une gauche qui y voit un « recul écologique majeur ».
Reste à voir si l’Assemblée nationale suivra le Sénat dans cette voie. Ou si, par un miracle aussi rare qu’une tomate sans pesticides, elle choisira une autre direction. Une chose est sûre : ce texte risque d’attiser encore un peu plus les tensions entre tenants de la transition écologique et défenseurs d’une agriculture productiviste.
Que pensez-vous de cette décision ? Un choix nécessaire pour les agriculteurs ou un retour en arrière pour l’environnement ?
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FAQ – Néonicotinoïdes et décision du Sénat
Pourquoi le Sénat a-t-il réintroduit un néonicotinoïde ?
Le Sénat a voté une dérogation temporaire pour l’acétamipride afin de permettre son usage sur certaines cultures, principalement les cerises et les pommes, en raison d’un manque d’alternatives efficaces contre certains ravageurs.
Quel impact sur l’environnement et les pollinisateurs ?
Les études montrent que les néonicotinoïdes affectent les pollinisateurs et s’accumulent dans les sols et les cours d’eau, avec des conséquences potentielles sur la biodiversité
Quels sont les arguments des partisans de cette loi ?
Ils mettent en avant les pertes de rendement, la concurrence internationale et l’absence d’alternatives immédiates pour justifier cette réintroduction.
Existe-t-il des alternatives aux néonicotinoïdes ?
Des solutions existent (lâcher d’insectes auxiliaires, biopesticides, rotations de cultures), mais elles sont jugées coûteuses ou inefficaces à grande échelle par certains producteurs.
Cette décision est-elle définitive ?
Non, il s’agit d’une mesure temporaire, mais des précédents montrent que ces dérogations peuvent devenir durables.
Que va-t-il se passer ensuite ?
L’Assemblée nationale doit encore examiner le texte. Si elle le valide, la dérogation pourrait être appliquée dès la prochaine saison agricole, avec un cadre de suivi scientifique.